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La pratique physique dans le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione : distinction, loisir ou i

La Renaissance est une période foisonnante et riche. Avec l’invention et la diffusion de l’imprimerie, on assiste à un très fort développement des livres (tant en nombre d’ouvrages qu’en nombre de copies d’un même ouvrage). On voit notamment se diffuser toute une littérature à but pédagogique, avec des traités. Il y a des traités sur tout : musique instrumentale, peinture, art militaire, etc.

En 1528, à Florence, paraît ce que l’on considère aujourd’hui comme un des ouvrages les plus importants de la Renaissance, Il Libro del cortegiano (ou Livre du Courtisan en français) de Baldassare Castiglione. Dès 1537, le livre est traduit en français, et connaît ensuite d’autres éditions (1538, 1585, 1690[1]). Il est organisé comme un dialogue entre différents personnages, qui débattent au fur et à mesure des pages. Cette œuvre est célèbre car l’auteur présente, dès la première page de l’œuvre, un objectif simple :

"Vous doncques me requérez que j’écrive laquelle soit à mon jugement la forme courtisane plus convenante à gentilhomme qui vive en la cour d’un prince par laquelle il puisse & sache parfaitement servir en toute chose raisonnable acquérant de lui la grâce et des autres louanges.[2]"

Il s’agit donc de façonner une éthique de cour, une façon de se tenir et de vivre dans l’entourage d’un prince (terme générique pour désigner tout souverain). Cet ensemble de manières d’être englobe de nombreux éléments, tels que la danse, la musique, mais également la pratique physique. Pour Castiglione, l’homme de cour doit acquérir un esprit qui répond aux critères attendus : être vertueux, cultivé, etc. Il s’agit donc, pour le courtisan, de normer à la fois son corps et son esprit.

Le courtisan est donc un proche du prince, on l’a dit. Or, la première chose qui caractérise le courtisan, dans le texte de Castiglione, est le fait qu’il doit être un individu vertueux (même si pour certains des personnages, la noblesse est également une condition nécessaire) et doté de qualités spécifiques. Ainsi, il nous semble assez logique de faire le lien entre l’émergence d’un modèle d’homme de cour (avec le texte de Castiglione) et un désir de distinction de la part de ces courtisans vis-à-vis du reste de la population[3]. Pour pouvoir se distinguer, les personnages du dialogue, élaborent une série d’items plus ou moins sujets à débat. Ainsi si les vertus sont indiscutables, le fait d’être né dans la noblesse, par exemple, pose question. Pour résumer tout cela autrement : Le Courtisan est un manuel clés-en-main pour permettre aux membres des élites (sociales et politiques) de se distinguer du reste du peuple. Mais les critères ainsi utilisés sont aussi le moyen de créer une hiérarchie au sein même de ces élites, car ils leur permettent de s’évaluer entre courtisans.

Mais quel rapport, alors, entre ceci et la pratique physique[4] ? La pratique physique nous semble être au croisement de trois grandes idées. Ainsi, quand Castiglione détaille ce que doit être et doit faire le courtisan, il cherche à définir un individu, tout d’abord, qui doit se distinguer des autres (et on verra qui est cet « autre » pour un courtisan). Ensuite, le courtisan de Castiglione est un personnage qui renvoie à la notion d’otium[2] telle qu’on la retrouve dans l’Antiquité romaine. Enfin, il nous semble intéressant de voir dans quelle mesure Le Livre du Courtisan renvoie à un idéal platonicien du bon citoyen.

[1] 1585 et 1690 correspondent à de nouvelles traductions de l’œuvre.

[2] Baldassare Castiglione, Le Courtisan nouvellement traduict de langue ytalicque en françoys, trad. Jacques Colin, Jehan Longis et Vincent Sertenas, Auxerre, 1537, f° 3r-3v. Toutes les citations sont extraites de cette édition et mises en français actuel.

[3] Pour faire simple, ce modèle du courtisan fait écho au modèle du chevalier médiéval, et est donc une nouvelle forme de distinction. Le courtisan se distingue à la fois du reste de la population de son époque, mais aussi du modèle distingué antérieur, le chevalier. Cf. Pierre Bourdieu, La Distinction, Les Éditions de Minuit, Paris, 1979.

[4] Le terme de sport n’existant pas à l’époque, nous préférons utiliser ici celui de « pratique physique », plus générique, mais aussi plus proche de la réalité de l’époque.

[5] Dans la Rome Antique, l’otium signifie le loisir studieux et fécond. Pour résumer, il s’agit de toute activité dénuée d’objectif quantifiable et de profit. Cela renvoie évidemment à la philosophie, mais aussi, dans une certaine mesure, à la pratique physique. En effet, l’activité mentale ne peut se faire sans entretien du corps qui la permet.

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