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La pratique physique dans le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione : distinction, loisir ou i

Normer le corps au XVIe siècle, un héritage de l’otium romain ?

Durant l’Antiquité romaine, il existe un concept clé pour comprendre le mode de vie des élites, il s’agit de l’otium. L’otium est une notion complexe, dont le sens a beaucoup évolué durant les siècles de la période romaine19. Ici, nous allons prendre ce mot dans le sens qu’il possède au 1e siècle av. J.-C – Ie siècle ap. J.-C.. Ce choix se justifie doublement. Tout d’abord, au 1e siècle av. J.-C., le sens du mot semble s’être figé et va demeurer tel par la suite. Ensuite, cette période est celle de grands penseurs comme Cicéron ou Sénèque. Or, ces auteurs sont très importants pour la pensée de la Renaissance. L’otium peut être déjà défini comme le « havre de paix au sein d’un monde tumultueux »20, c’est-à-dire une « détente passagère »21. Pour Jean-Marie André, l’otium est rendu possible par deux éléments majeurs : « la libération des tâches matérielles facilitée par l’esclavage et l’abstention politique rendue désormais possible par l’émergence d’une classe de chefs »22. Or, ces deux éléments qui permettent l’otium rejoignent tout spécialement le profil de notre courtisan : il est libéré des tâches matérielles grâce à une domesticité (en lieu et place d’esclaves) et il n’est pas un prince. Il faut d’ailleurs rappeler là le contexte d’écriture du Courtisan. Durant la période médiévale, l’Italie a connu l’émergence des Communes parmi lesquelles un certain nombre de régimes qui reprenaient des éléments de la République romaine. Cependant, aux XVe et XVIe siècles, ces expériences communales et républicaines sont pour la plupart terminées, par l’émergence, justement, d’une nouvelle classe de chefs, les Princes. C’est d’ailleurs peut-être parce que cela fait écho pour les hommes et les femmes de la Renaissance que les auteurs de la fin de la période républicaine romaine et du début de l’imperium sont si lus et intégrés. Revenons-en à la définition de l’otium. On l’a dit, cela regroupe tout un ensemble d’activités qui ont toutes en commun de ne pas faire partie du negotium, qui est étymologiquement le contraire de l’otium (negotium vient de neg otium, neg étant un préfixe négatif). Le negotium, c’est le travail, la négation du loisir. Or, chez les Romains, l’otium précède le negotium, ne serait-ce que visuellement : le negotium se définit par rapport à l’otium. De telles définitions ne sont pas non plus sans rappeler un extrait du Courtisan que nous citions précédemment. Castiglione en effet, recommande de « laisser les autres à part, comme voltiger en terre, aller sur la corde, et telles choses qui approchent de bastellerie, et peu sont convenantes à gentilhommes ».

19 Cette évolution est très bien expliquée dans l’article de Jean-Marie André, « Recherches sur l'otium romain », Annales littéraires de l’Université de Besançon, 52, Besançon : Université de Franche-Comté, 1962. pp. 3-82. 20 André, op. cit., p. 7. 21 Ibid., p. 7. 22 Ibid., p. 6.

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